Si vous n’aimez pas les légumes et les crudités, ce n’est peut-être pas de votre faute !

 

Qu’un même aliment puisse être porté aux nues par certaines personnes et inspirer à d’autres le plus profond dégoût est quelque chose qui m’a toujours fasciné. Pas vous ? Je me suis souvent demandé ce qui pouvait bien expliquer une telle variation dans notre manière d’apprécier la nourriture.

Car après tout, dans d’autres domaines, les choses sont beaucoup plus simples.

Certains supportent plus ou moins bien le chaud et le froid, mais en dépit de ces légères différences d’appréciation chacun s’accorde à reconnaître que le feu est chaud et que la glace est froide. Il y a, en la matière, une certaine unanimité de perception.

Pourquoi n’en va-t-il pas de même pour le goût ?

Je devais avoir une quinzaine d’années la première fois où je me suis sérieusement posé la question.

Ma mère nous servait régulièrement de la salade en début de repas parce qu’elle savait que c’était bon pour la santé. Puisque c’était si sain (et que je voulais faire plaisir à ma mère) je me forçais à en manger. J’avalais ma salade comme je l’aurais fait d’un médicament, par devoir, comme une pénitence. Assise à côté de moi ma sœur finissait chaque jour son assiette avec un plaisir non dissimulé et il lui arrivait même de se resservir !

Comment était-ce possible ?

J’en avais tiré deux conclusions provisoires :

      1. les papilles gustatives ne sont pas configurées de la même manière chez les filles et chez les garçons ;

      1. pour une partie des gens (dont j’étais) les aliments les plus sains sont ceux qui génèrent le moins d’appétence, et – hélas – inversement.

    Tout cela n’était pas très scientifique, même si ce n’était pas non plus tout à fait faux.

    Y aurait-il une alimentation « féminine » et une alimentation « masculine » ?

    Il existe bien, en tendance générale, des aliments qui semblent davantage plaire au palais de l’un ou de l’autre sexe. Ce ne sont pas des lois absolues, seulement des penchants majoritaires.

    Lorsque vous sortez en couple au restaurant, amusez-vous une fois, avec votre conjointe/conjoint, à intervertir ces tendances attendues : madame commandera un steak saignant avec une bière brune, et monsieur une salade de crudités accompagnée d’un Spritz. Il y a fort à parier qu’au moment d’apporter les commandes le serveur se trompe et rétablisse malgré lui l’« ordre genré » !

    Vous avez aussi tous remarqué une autre variation, plus significative encore : celle entre les classes d’âge.

    Songez à ce qu’une grande partie des adultes considère comme étant délicieux : les truffes, le caviar, le foie gras… Pour la plupart des enfants ces aliments n’ont rien qui suscite leur envie. Pas plus qu’ils ne sont attirés par les grands crus ou les plats épicés !

    Notre corps change et évolue au fil des ans. Il n’est pas étonnant qu’il en soit de même pour nos papilles.

    Les goûts varient entre hommes et femmes, entre adultes et enfants, entre certaines populations et d’autres, mais aussi entre individus à l’intérieur d’une même population.

    Cette question fascine tout à la fois les médecins, les cuisiniers et même les philosophes, et ce depuis les époques les plus reculées.

    Le philosophe romain Lucrèce, disciple de l’école épicurienne, pensait que c’était les atomes constitutifs des aliments qui déterminaient leur goût. Il est en effet un des premiers penseurs à avoir imaginé (sans bien sûr pouvoir encore le démontrer) que la matière était faite d’éléments microscopiques indivisibles. La science lui donnerait raison deux mille ans plus tard…

    Il pensait que les corps solides étaient constitués d’atomes crochus, les liquides et fluides d’atomes sphériques, etc. L’amertume de l’eau de mer s’expliquerait ainsi par un mélange d’atomes ronds (pour la fluidité) et rugueux (d’où le goût désagréable).

    Lucrèce avait une théorie originale pour expliquer les différences de goût

    Selon lui les distinctions de goût entre individus découlent des divers types de compatibilité (ou d’incompatibilité) existant entre les atomes présents dans un aliment et ceux présents dans notre bouche. Chaque bouche présentant une « composition atomique » différente (puisque nous sommes tous des individus uniques), cela expliquerait qu’un même aliment puisse être apprécié très différemment selon la personne qui le goûte.

    Plutôt malin, non ?

    On peut lire ceci dans son livre De Rerum Natura, écrit au 1er siècle av. J-C :

    « Le lait et le miel laissent dans la bouche une sensation qui flatte la langue, tandis que l’absinthe amère, la sauvage centaurée, ont une saveur qui nous fait faire la grimace : à quoi tu reconnaîtras aisément que des éléments lisses et ronds composent les corps agréables à nos sens, et qu’au contraire toutes les substances amères et âpres au goût proviennent d’un assemblage d’éléments crochus et serrés, lesquels les obligent à déchirer les voies qui accèdent à nos sens et à maltraiter les organes dont elles forcent l’entrée. »[1]

    Comme on dit en latin moderne : si non e vero, e ben trovato ! (« si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé ! »)

    Le sujet était évidemment loin d’être épuisé et de nombreuses recherches ont été effectuées depuis sur la question.

    La dernière en date est une revue systématique parue le 2 février dernier dans la publication scientifique BMC Nutrition sous le titre « Genetic determinants of food preferences : a systematic review of observationnal studies » (« Déterminations génétiques des préférences alimentaires : une revue systématique des études observationnelles »)[2].

    Il s’agit de la première revue systématique de ce genre, comparant et tentant une synthèse entre un grand nombre d’études réalisées ultérieurement dans diverses régions du monde.

    Les études compilées et comparées dans ce travail de recherche sont le fruit de questionnaires adressés à des adultes des deux sexes âgés de 18 à 70 ans et issus de populations et de zones géographiques diverses.

    Toutes ces personnes, selon des modalités variant d’une étude à l’autre, ont été amenées à se prononcer notamment sur :

        • leurs goûts / préférences alimentaires ;

        • les mets vers lesquels elles se tournaient spontanément ;

        • ceux au contraire qu’elles avaient tendance à éviter ;

        • la fréquence à laquelle elles consommaient tel ou tel aliment spécifique.

      Les observations générales qui en ressortent peuvent se résumer en une phrase : il existe une association significative entre certaines variantes génétiques et les préférences alimentaires.

      Pour le dire autrement, il y a de fortes chances que votre génotype influence directement vos goûts et vos dégoûts en matière de nourriture.

      Le génotype, pour rappel, est une partie essentielle de l’information génétique d’un individu. Il s’agit de la composition allélique de tous les gènes qui vous constituent. Selon le type de gènes ou d’allèles (variante d’un gène assurant la même fonction que le gène initial mais selon ses modalités propres) présents dans votre génotype, vous serez déterminé à préférer certains aliments à d’autres.

      Ces préférences alimentaires se formeraient pour l’essentiel au cours du développement fœtal. Voilà qui relativise beaucoup ce que nous appelons « l’éducation au goût » !

      Ces mécanismes, toutefois, sont complexes. Les aliments que nous mangeons comportent des composés chimiques, lesquels activent des récepteurs gustatifs dans notre bouche, influencés eux-mêmes par les variations génétiques dont nous parle cette recherche. En outre, certaines substances différentes activent pourtant les mêmes circuits neuronaux gustatifs, à l’instar par exemple de l’alcool et de la saccharose.

      Sur ces bases-là, que nous apprennent les gènes sur nos goûts et nos dégoûts ?

      Voici quelques exemples.

          • Les personnes porteuses du gène TAS1R2 et TAS1R3 manifestent une appétence plus marquée que la moyenne pour la viande d’agneau, la vodka et le vin blanc.

          • Les porteurs du gène PCLB2 semblent préférer le thé chaud.

          • Les porteurs du gène TPRV1 craquent quant à eux volontiers pour la betterave.

        Ces observations, à force de répétition des mêmes occurrences, permettent de constituer des sortes de « familles génético-alimentaires ».

        On apprend ainsi que les profils génétiques appréciant le jus de pamplemousse sont aussi des grands buveurs de café, que les amateurs de bière raffolent souvent du chocolat noir ou que les adeptes de chou-rave cru ont aussi souvent tendance à manger trop salé. Vous vous en doutiez ?

        Et vous, de quelle famille êtes-vous ?

        Bien que d’autres paramètres influent sur nos habitudes alimentaires (comme nos propres connaissances en nutrition ou la conscience que nous avons que tel ou tel aliment est bon ou mauvais pour la santé), le principal facteur de nos choix en matière d’alimentation reste le goût.

        Autrement dit : plus nous aimons un aliment et plus nous aurons tendance à en manger.

        Indépendamment de tout autre facteur susceptible de dicter nos choix, nous aurons toujours tendance à manger davantage et plus souvent le type de nourriture que notre génétique nous pousse à apprécier.

        Cette différence de déterminations génétiques implique que nous ne sommes pas égaux face à la santé nutritive.

        Pourquoi ? Parce que certains se tournent spontanément et avec plaisir vers des aliments sains tandis que d’autres ne le font qu’au prix de gros efforts d’autodiscipline ou, de guerre lasse, ne le font pas du tout.

        Comme l’explique un article du site News Medical commentant les résultats de l’étude, « certaines variations génétiques augmentent ou réduisent l’appétit pour les repas sucrés et gras tandis que d’autres influencent les préférences en matière de catégories alimentaires »[3].

        L’enquête donne ainsi l’exemple des individus porteurs de l’allèle A FTO. Des réponses que ceux-ci ont donné aux questions découlent les caractéristiques suivantes :

            • Ils font preuve d’un plus grand appétit que la moyenne ;

            • Ils ont une tendance marquée à consommer des céréales, des biscuits, des viandes riches et des matières grasses en quantité élevée.

          Les individus porteurs des génotypes Val/Val et Val/M et du gène de la catéchol-O-méthyltransférase liée à la dopamine (COMT) se caractérisent quant à eux par une appétence marquée pour certains types d’aliments considérés comme malsains sur le plan nutritif.

          Vous êtes né avec ces gènes-là ? Pas de chance…

          Nous avons là ce qu’on pourrait appeler deux profils génétiques à risque (et ce ne sont là que deux typologies parmi beaucoup d’autres).

          On comprend sans peine qu’à partir du moment où les gens ont tendance à suivre tout naturellement leurs préférences alimentaires, ces génotypes-là peuvent favoriser les problèmes de surpoids, d’obésité ou de maladies cardiovasculaires.

          Cette revue systématique publiée par BCM Nutrition n’épuise évidemment pas la question (pas plus qu’elle n’avait été épuisée par les observations de Lucrèce !), d’autant que les méthodes de récolte d’information varient beaucoup d’une étude à l’autre et que les variantes étudiées sont sans doute trop hétérogènes pour aboutir à des conclusions définitives. C’est pourquoi des recherches supplémentaires seront encore nécessaires pour avoir le fin de mot de cette histoire de prédisposition génétique qui nous fait manger notre salade par plaisir ou simplement par acquis de conscience !

          A ce stade on aurait tort de tout mettre sur le dos de nos gènes (si je puis dire).

              • Parce qu’il n’est pas démontré de manière absolue que toutes ces corrélations soient de l’ordre de la détermination.

              • Parce que ce qui nous détermine n’exclut pas nécessairement une marge de liberté.

              • Et parce que… ce serait trop facile !

            Oui, se laisser aller à ses mauvais penchants en disant « je n’y peux rien, c’est la faute de mon génotype », ce serait vraiment l’option de la facilité. Et de la mauvaise foi.

            On sait depuis plusieurs années – et indépendamment de ces questions de préférence alimentaire – qu’il existe des prédispositions génétiques à prendre du poids et à rencontrer des problèmes de santé liés à cette surcharge pondérale.

            Cette découverte médicale nous aura permis de ne pas tomber dans le piège de la culpabilisation des personnes obèses ou en surpoids. Non, ce n’est pas nécessairement de leur faute, et leur état ne reflète pas forcément une attitude de laisser-aller ou de manque de volonté. Il était temps que cela soit compris.

            Cette nouvelle enquête ne fait que confirmer cette tendance : n’étant pas égaux face à la génétique, nous ne le sommes pas non plus sur le plan de nos comportements alimentaires.

            C’est vrai. Mais ça ne fait pas tout. Si nous ne partons pas tous avec le même bagage génétique nous sommes tous des individus capables de faire des choix.

            Lucrèce écrivait que l’esprit est le siège de la liberté et que le pouvoir de la volonté découle d’une légère déviation des atomes qui nous constituent (phénomène qu’il appelait le clinamen). La deuxième proposition peut aujourd’hui faire sourire mais la première reste tout à fait valable !

            Nous ne sommes pas que constitués de gènes et d’allèles : nous avons aussi un libre arbitre.

            Celui-ci nous permet de choisir en connaissance de cause les aliments que nous savons être les meilleurs pour nous, les plus profitables à notre santé. Mais pour faire bon usage de ce libre arbitre et de cette volonté encore faut-il acquérir quelques connaissances pratiques en nutrition.

            C’est ce à quoi s’emploie la revue que j’ai le plaisir d’éditer, Secrets de nutrition, à laquelle je vous invite à vous abonner si cette lettre vous a intéressé et si vous désirez vous tenir au courant de l’actualité de la recherche dans ce domaine.

            Et vous, vers quel type d’aliments vous tournez-vous « naturellement » quand vous n’écoutez que votre appétit et votre envie spontanée ? Dites-le-moi dans les commentaires, je serais curieux de le savoir !

            Salutations génotypiques,

            François Renart


            [1] Lucrèce, De la nature, Flammarion, 2021

            [2] https://bmcnutr.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40795-024-00828-y

            [3] https://www.news-medical.net/news/20240213/Genes-dictate-taste-Study-finds-genetic-links-to-food-preferences.aspx


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            Depuis toute petite, je raffole de tout ce qui vient de l’eau, d’ailleurs, au restaurant, mon choix se porte toujours sur les poissons ou fruits de mer. Ma préférence suprême aujourd’hui : les sushis. Je suis par ailleurs folle des fruits, des légumes et du vin (blanc, rouge et rosé). Enfin, mon plaisir coupable se trouve du côté des desserts glacés ( gelato, glace au chocolat, etc.).

            Pour ma part je suis attirée par les aliments sains type avocat, légumes, salade de mâches et betteraves rouges , j’adore les radis mais j’aime aussi tout ce qui est chacutailles ( rillettes ,saucisson , jambon cru ….)
            La viande c’est moyen , le bœuf tous les 10 jours environ , le porc j’adore , poulet, pintade aussi .
            Mais j’aime de temps en temps manger des frites avec des moules marinières, de la petite friture , des fruits de mer ( j’adore), des sardines et des maquereaux en boîte, de la raie au court bouillon avec un beurre fondu + câpres ,des filets de poissons poêlés avec de l’aneth.

            Ma mère nous a fait manger bcp de légumes dans notre enfance. Jusqu’à 12 ans je n’aimais rien manger .Après cela a changé .

            J’ai rarement faim ,je mange par gourmandise .
            J’aime varier les aliments ,découvrir de nouvelles saveurs .

            Je suis très intéressée par la Santé. La diététique , et peux assez facilement orienter mon alimentation vers ce qui est reconnu comme le meilleur pour la santé, tout en m’accordant de temps en temps des envies de plats ou d’aliments » moins sains « 

            Je me tourne tout naturellement vers les légumes, les légumineuses et les herbes aromatiques. Les marchés provençaux restent à jamais gravés dans ma mémoire : leurs couleurs et leurs senteurs m’envahissent encore aujourd’hui. Lorsque je voyage je passe toujours du temps à déambuler dans les marchés. Ils sont les centres névralgiques d’un pays. Quand vous comprenez ce que mange un peuple vous appréhendez mieux son fonctionnement. En ce qui me concerne je trouve les légumes, les herbes sont source de vie et de joie.